Article "Accueillir des réfugiés a fait de nous une famille" de Valérie Péronnet, publié dans la revue Psychologies Magazine, en janvier 2020
Photographie Pablo Chignard
Depuis deux ans, Xavier et Christophe accueillent des jeunes exilés, le temps qu’ils se lancent dans leur vie. Entraide, bienveillance, rires et chamailleries, ici tout se passe comme en famille, pour le bonheur de tous.
“J’ai vécu une année en Jordanie, il y a une quinzaine d’années. Quand j’étais là-bas, j’allais souvent en week-end en Syrie, où je me suis fait des copains, expose Xavier. En 2011, quand la guerre a éclaté et que j’ai découvert les images d’exode à la télévision, j’ai eu un choc. Je ne savais pas ce que vivaient mes potes syriens, je ne pouvais pas les joindre sans risquer de les mettre en danger. Ca me rendait dingue d’avoir l’impression de ne rien pouvoir faire pour eux. Evidemment, j’en ai parlé avec Christophe. Nous vivons ensemble depuis vingt-six ans. Nous avons des bons boulots, un grand appartement, plein d’amis et beaucoup d’activités. Une belle vie, bien remplie, comme on dit ! Et, chacun de notre côté, une grande famille habituée à accueillir “des autres”.
Un jour, Christophe a entendu parler de SINGA à la radio : un mouvement qui offre notamment la possibilité pour les réfugiés d’être accueillis par des particuliers [via son dispositif J'accueille]. Cette idée nous a plu, et nous nous sommes inscrits pour être famille d’accueil, sur un contrat très clair : assurer le gîte et le couvert d’un jeune exilé pour quelques mois, entre le moment où il obtient le statut de réfugié et celui où il peut voler de ses propres ailes. Notre chambre d’amis était prête, et Christophe et moi avions défini ensemble des règles très strictes pour ne pas nous sentir envahis par ce jeune Syrien que nous attendions.
Le première personne que nous a envoyée SINGA n’était pas du tout une personne venant de Syrie. Un peu éberlués, nous avons fait la connaissance de Bridget, une Nigériane de 23 ans à qui nous avons donné rendez-vous dans un café de notre quartier. Une jolie jeune femme, un peu garçonne, un peu timide, qui nous a touchés immédiatement. Quand elle a découvert sa chambre, son visage s’est éclairé : “Mais je vais être une vraie princesse !” Le lendemain, elle s’installait.
Nos “règles très strictes” ont joyeusement volé en éclats dans les jours qui ont suivi, en même temps que nous avons découvert la personnalité rieuse et explosive de Bridget. On s’est fait confiance tout de suite, à sa plus grande surprise - mais comment faire autrement ? On vit dans le même appartement ! -, et on a trouvé nos marques, en veillant à ne pas se gêner les uns les autres. Un soir, elle est venue timidement nous demander si nous pouvions l’aider à faire une dictée, et nous avons découvert qu’elle écrivait magnifiquement… Quelques jours plus tard, nous avons fait connaissance, par Skype, de sa grand-mère de 90 ans. Bridget a finalement trouvé un poste de vendeuse et un petit appartement. Elle n’est restée que trois mois, mais nous avons créé des liens, très forts et très vite. Quand elle est partie, on l’a aidée à aménager son nouveau studio. J’étais avec elle dans un magasin de bricolage, et le vendeur m’a parlé d’elle en disant “votre fille”. Ca nous a fait beaucoup rire. Depuis, elle nous appelle “Papa”. On sait tous qu’on n’est pas des papas, mais on est sa famille de France. Moi, je l’appelle “ma daughter”. Bien sûr, nous sommes restés en contact par téléphone, et elle vient dîner de temps en temps à la maison.
Photographie Julie Lambert et Kenia Sadoun
Nous, on a fait une petite pause pour nous retrouver tous les deux, et puis SINGA nous a rappelés pour nous proposer d’accueillir Ardit, un jeune Albanais de 23 ans qui est arrivé caché sous un bonnet qu’il ne quittait jamais. Il lui a fallu plusieurs semaines pour se détendre, s’ouvrir et nous montrer ses cheveux ! On l’a vu, physiquement, se transformer, se libérer de l’angoisse de chercher où dormir et poser ses affaires.
Il n’était en France que depuis quinze mois, mais il parlait déjà français comme un livre, et bossait d’arrache-pied pour poursuivre ses études. Il est resté huit mois, on s’est merveilleusement bien entendus avec lui. Il a fait la connaissance de Bridget, qui a pris sur elle pour ne pas être trop jalouse de celui qui occupait sa “chambre de princesse”, et, assez vite, ils ont eu des rapports de frère et soeur, qui s’aiment bien et se chamaillent. Ca nous fait de bien joyeux dîners ! Et puis, un jour de cette année-là, Bridget a appelé, en larmes : sa mère venait de mourir, là-bas, au Nigeria. Ma maman à moi était morte deux semaines plus tôt. On a filé immédiatement pour être avec elle, ne pas la laisser seule, voir comment l’aider. C’est là qu’on s’est sentis vraiment chargés de famille, Christophe et moi. On a monté une cagnotte auprès de nos amis pour aider Bridget à payer les frais des obsèques et organiser la vie de son petit frère et de ses petites soeurs, restés là bas.
Photographie SINGA Lyon
Dans notre sphère, à cette époque, est aussi arrivé Montaser, un jeune Soudanais que nous n’avons jamais hébergé, mais avec qui nous avons sympathisé lors des rencontres organisées par l’association, et que nous avons embarqué pour des vacances dans ma maison de famille. Il s’entend très bien avec nous tous, et nous sommes devenus, pour lui aussi, une de ses “familles de France”. Quelques semaines après le départ d’Ardit, qui a trouvé un logement et un boulot lui permettant de finir ses études tranquillement, comme n’importe quel étudiant, nous avons accueilli Aboulkacem, lui aussi originaire du Soudan. Pour lui, tout est plus difficile : contrairement aux trois autres, il ne parle pas français, n’est jamais allé à l’école, a du mal à se projeter dans notre monde. Nous l’accompagnons comme nous le pouvons, pour qu’il trouve la meilleure solution pour lui.
A Noël dernier, nous avons décidé d’organiser un vrai grand réveillon chez nous avec “les enfants”, ma cousine divorcée et ses trois enfants. Je crois que c’est à ce moment-là, en les voyant chahuter les uns avec les autres, que j’ai vraiment pris conscience de la qualité du lien qui nous lie, tous. Et à quel point je suis fier d’eux, vraiment. Comme un père, peut-être. Christophe et moi, on a l’habitude d’être des adultes référents pour nos neveux et nos filleuls, mais là, c’est un peu plus : ils n’ont pas leurs parents. Ici, il n’y a que nous, ils savent qu’ils peuvent compter sur nous. Et ils nous rappellent régulièrement qu’ils ne nous laisseront jamais tomber eux non plus. On ne l’a ni programmé ni anticipé, mais le vrai cadeau de toute cette histoire, c’est qu’ils ont fait de nous, qui n’aurions jamais pu l’être, des parents. On les a accueillis, et on y a gagné une famille.”